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LE BLOG DE CYEK

G. Soro et Charles Blé Goudé : deux visions antinomiques de la CIV

27 Décembre 2010, 10:07am

Publié par Cyrille Ekwalla

SORO-2-1.JPGGuillaume Soro : « Seule la force peut déloger Laurent Gabgbo du pouvoir »

Guillaume Soro, Premier ministre d'Alassane Ouattara est toujours reclus à l'Hôtel du Golf. Le chef de l’ex-rébellion répond aux questions de notre envoyé spécial en Côte d’Ivoire. Il revient sur l'allocution télévisée de Laurent Gbagbo et sur les moyens qui doivent être mis en œuvre pour installer concrètement Alassane Ouattara dans le fauteuil présidentiel.

 
 

Laurent Gbagbo, lors d’une allocution télévisée, a proposé un dialogue à Alassane Ouattara. Que répondez-vous ?

Guillaume Soro : Le postulat de Laurent Gbagbo est faux. Monsieur Gbagbo n’est plus président de la République de Côte d’Ivoire. Monsieur Gbagbo a été battu aux élections le 28 novembre 2010. Partant de là, monsieur Gbagbo n’a plus rien à dire. Quand on ajoute à ça, à ce faux postulat, les tueries et les massacres dans les quartiers de populations innocentes, des tueries à caractère ethnique où des populations sont extirpées de leur domicile, ce que la Côte d’Ivoire profonde attend de monsieur Gbagbo, c’est qu’il parte du pouvoir.

Mais êtes-vous prêt à dialoguer avec lui ?

G.S. : Je vous répète qu’on ne peut pas dialoguer avec quelqu’un qui, face à des populations civiles aux mains nues, sort des chars. Autant l’Europe n’a pas discuté avec Hitler, autant les Ivoiriens ne peuvent pas discuter avec un dictateur. Ce n’est pas acceptable. Donc nous ne voulons pas venir dans les détails de ce discours, nous disons que monsieur Gbagbo doit quitter le pouvoir.

L’idée d’un comité d’experts dirigé par l’Union africaine n’est pas acceptable pour vous ?

G.S. : Il n’en est pas question. Le même Gbagbo Laurent qui demande aux jeunes patriotes de chasser les Nations unies, de chasser les Français, ne peut pas, dans un même discours, faire appel à ces puissances internationales. Donc nous disons que le discours est faux et que nous ne pouvons pas nous laisser embarquer. Monsieur Gbagbo doit partir du pouvoir.

À quelle échéance ?

G.S. : Le plus rapidement possible. Il n’y a même plus de délai à accorder à monsieur Gbagbo, parce que plus le temps passe, plus les morts s’accumulent et la situation devient de plus en plus délétère et inacceptable.

 Vous dites « Laurent Gbagbo doit partir ». Mais de quels moyens disposez-vous pour le faire partir ?

G.S. : De toutes les façons, il est clair pour nous que nous avons déjà lancé un appel aux Ivoiriens. Depuis les campements, les villages, les villes, les Ivoiriens doivent s’organiser de quelque façon que ce soit pour résister à la dictature.

 

Est-ce que l’option militaire est pour vous aujourd’hui une option pour faire partir Laurent Gbagbo ?

G.S. : En ce qui me concerne, après la mobilisation de la communauté internationale par les sanctions, le soutien à monsieur Alassane Ouattara, nous tous nous devons convenir que seule l’utilisation de la force peut déloger monsieur Gbagbo du pouvoir. D’ailleurs, le Premier ministre kenyan l’a proposé et j’en conviens avec lui. De toutes les façons, ce ne sera pas la première fois que la Cédéao (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) a pris des mesures pour déloger des dictateurs du pouvoir et que même l’Union africaine a pris des mesures pour déloger des dictateurs au pouvoir.

Donc vous demandez clairement aujourd’hui à la Cédéao d’envoyer une force pour déloger Laurent Gbagbo ?

G.S. : Je demande à tous les démocrates à commencer par l’ONU, l’Union européenne, l’Union africaine, la Cédéao, de clairement envisager l’option de la force pour contraindre un dictateur qui, je le répète, a déjà tué deux cents Ivoiriens par des mercenaires libériens.

Est-ce que les forces armées des Forces nouvelles pourraient passer à l’action ?

G.S. : Dans le cadre du droit international, s’il était acquis d’utiliser la force, évidemment les forces armées des Forces nouvelles se joindraient à ça.

Aujourd’hui vous vivez reclus à l’hôtel du Golf avec votre gouvernement, avec monsieur Alassane Ouattara. Est-ce que vous pensez avoir encore une prise sur les évènements puisque à Abidjan, c’est Laurent Gbagbo qui est aux commandes ?

G.S. : Bien sûr, vous pouvez affirmer que Laurent Gbagbo est aux commandes. Evidemment, on est toujours courageux et brave quand on a les chars de l’Etat de Côte d’Ivoire. Qu’il rende ses chars et il verra qui est majoritaire à Abidjan. Le vrai problème, c’est que face à la dictature, le peuple n’a pas d’autre choix que la révolte. Et nous avons demandé aux Ivoiriens de s’organiser, de se mobiliser et de manifester, je dis bien, par tous les moyens.

 Vous ne craignez pas que ça provoque un bain de sang ?

G.S. : Evidemment, le bain de sang est toujours provoqué par celui qui donne ordre à des mercenaires libériens de tirer sur une foule aux mains nues. Evidemment, le sang a déjà coulé du fait de monsieur Gbagbo et le sang continuera de couler du fait de monsieur Gbagbo. Plus vite la communauté internationale, la Cédéao, l’Union africaine, se feront à l’idée qu’il faut rapidement déloger monsieur Gbagbo du pouvoir, plus nous pourrons alors faire une économie de vies humaines dans notre pays.

Vous avez encore confiance en la victoire ?

G.S. : Il n’y a pas de raison. Quelqu’un qui est condamné par la Cédéao, quelqu’un qui est condamné par l’Union africaine, l’Union européenne et l’ONU, sa vie au pouvoir ne peut qu’être comptée en termes de jours et de semaines.

Laurent Gbagbo vous a dit que vous pouviez maintenant sortir librement de l’hôtel du Golf ? Allez-vous sortir de l’hôtel du Golf ?

G.S. : Je vous retourne la question : vous journalistes, avez-vous pu par voie normale rejoindre l’hôtel du Golf ? [pour réaliser cette interview notre envoyé spécial a dû se rendre sur place à bord d’un hélicoptère de l’ONU]

 

 

BL-20G-1.JPGCharles Blé Goudé : « Nous ne voulons plus de guerre en Côte d'Ivoire»

 

 

Malgré son entrée dans le nouveau gouvernement formé par Laurent Gbagbo, en tant que ministre de la Jeunesse, de la Formation professionnelle et de l'Emploi, Charles Blé Goudé poursuit ses activités de mobilisateur de la jeunesse pro-Gbagbo. Il a d'ailleurs annoncé, un grand meeting, le mercredi 29 décembre, à Abidjan pour demander le départ des forces étrangères. Charles Blé Goudé répond aux questions de notre envoyé spécial en Côte d’Ivoire.

 
 

Vous êtes ministre mais vous avez toujours votre casquette de « général de la jeunesse ». Quel Charles Blé Goudé êtes vous ?

Charles Blé Goudé : Actuellement, je suis ministre à 100% et général de la jeunesse à 100%. Cela veut dire que je veux jouer à fond mon rôle de ministre de la Jeunesse et de l’Emploi. Mais, vu la situation que le pays vit, je dois jouer mon rôle pour orienter toujours la jeunesse.

Depuis plusieurs jours, vous êtes en tournée dans les quartiers. Quel est le message que vous faites passer aux jeunes favorables à Laurent Gbagbo ?

C.B.G. : Je dis aux jeunes qu’il faut éviter de s’attaquer à d’autres jeunes. Il y a un problème politique en Côte d’Ivoire, il faut le régler de manière politique. Il faut éviter que la force prenne place dans ce débat.

Alors quelle type de mobilisation exactement prônez-vous. Par exemple, que doivent-ils faire puisque le 29 décembre vous avez appelé à une grande manifestation place de la République à Abidjan. Que doivent-ils faire à l’égard des Nations unies ?

C.B.G. : Ils n’ont rien à faire à l’égard des Nations unies. Le chef de l’Etat, Gbagbo Laurent, a écrit un courrier demandant aux Nations unies de partir de la Côte d’Ivoire. Je pense que nous sommes dans un pays de droit où il y a des procédures. On n’a pas besoin de s’attaquer à des forces onusiennes, on n’a pas besoin de s’attaquer à la force française, je pense qu’il faut éviter la force.

Charles Blé Goudé, tout de même, les Nations unies dénoncent un usage excessif de la force des partisans de Laurent Gbagbo et affirment qu’il y a eu plus de 173 meurtres depuis l’élection…

 
 

C.B.G. : Depuis quelques temps, j’ai l’impression que le monde est à l’envers. Je ne sais pas ce qui arrive aux autorités onusiennes. L’objectif qu’ils se sont fixé depuis quelques années d’enlever Gbagbo du pouvoir les a tellement obnubilés, que toute convenance de vie est mise de côté. Voyez-vous, quand une opposition annonce une marche pacifique et que l’Etat de Côte d’Ivoire sort les policiers pour encadrer les marches, et que, en face, les gens ont des kalachnikovs et qu’ils tirent sur les policiers, je pense que l’ONU doit au moins dénoncer cela. Je ne crois pas que quand les partis politiques protestent en France ou partout ailleurs, c’est avec des kalachnikovs. Quand des forces de l’ordre sont tuées personne n’en parle. Je souhaite que la lumière soit faite sur les événements qui se sont passés dernièrement en Côte d’Ivoire. Mais il faut éviter que l’ONU soit une machine qui colporte des rumeurs. J’ai entendu quelqu’un dire : « pendant le couvre feu les forces de sécurité tuent les gens ». Mais pendant le couvre-feu, toi tu es censé être chez toi ! Comment toi tu sais cela ?

Mais est-ce que votre isolement sur la scène internationale ne pose pas un réel problème aujourd’hui pour engager les actions de l’Etat ?

C.B.G. : Il est évident que sur la base du faux, les gens peuvent prendre des décisions de manière précipitée. Regardez un peu la précipitation avec laquelle la France, les Nations unies sont intervenues dans cette crise-là. Il y a anguille sous roche. C’est pourquoi le président a proposé un comité d’évaluation pour s’informer réellement sur la crise ivoirienne. Que s’est-il passé ? Où a-t-on proclamé les résultats ? Les a-t-on proclamé à temps ? Pourquoi c’est dans le QG de monsieur Alassane Ouattara que les résultats ont été proclamés ? Est-ce qu’il y a eu des élections au nord de la Côte d’Ivoire ? Dans quelles conditions ? Tout cela doit être su. C’est pourquoi je voudrais vous dire que nous sommes convaincus que la vérité finira par éclater.

Et vous pensez pouvoir parvenir à ébranler l’unanimité de la communauté internationale ?

C.B.G. : Nous ne cherchons pas à ébranler qui que ce soit. Nous cherchons à ce que la vérité éclate. Nous ne sommes dans aucun bras de fer avec personne. Il faut que le monde entier ouvre les yeux.

Guillaume Soro demande aujourd’hui qu’on utilise la force pour déloger Laurent Gbagbo du fauteuil présidentiel. Que lui répondez-vous ?

C.B.G. : Je voudrais dire à Guillaume Soro que depuis 2002 il a expérimenté la force. Cette force-là a apporté quel résultat à la Côte d’Ivoire ? Des familles entières endeuillées. La force doit être combattue par la loi. Je comprends monsieur Guillaume Soro, c’est un rebelle. Il ne connaît que la force. Voyez-vous pourquoi il appelle à la force ? Parce que les premiers jours où il a appelé à la désobéissance civile, personne ne l’a suivi. Il comprend donc qu’il n’a aucune base dans la masse ivoirienne. Il a appelé à ce que les Ivoiriens n’aillent pas au travail. Bien au contraire, vous êtes à Abidjan, les gens se bousculent à tous les coins de rue pour aller au travail. Guillaume Soro a compris qu’en ce qui concerne les moyens légaux, les moyens démocratiques, il ne représente plus rien. Tout ce qu’il lui reste, c’est la force. Mais nous voulons dire que « non », nous ne voulons plus de guerre en Côte d’Ivoire. Que Guillaume Soro se ravise et qu’il puisse accepter de se civiliser.

Ce vendredi, la Cédéao doit se réunir et envisage, peut-être, d’envoyer une force en Côte d’Ivoire. Est-ce que cela vous inquiète ?

C.B.G. : Nous ne voulons pas de guerre en Côte d’Ivoire. Et quand on est dans une union comme la Cédéao, qu’un pays frère est en proie à des difficultés, on ne vient pas faire la guerre à ce pays. On vient pour aider à résoudre la crise ivoirienne. Mais je ne sais pas quel sera l’objectif de cette force-là. Tuer les Ivoiriens ? Ils en auront beaucoup à tuer.

La France a invité ses ressortissants, comme d’autres pays, à quitter la Côte d’Ivoire. Qu’avez-vous envie de répondre aux autorités françaises ?

C.B.G : Que préparent les autorités françaises au point de demander à leurs ressortissants de partir de la Côte d’Ivoire. La France a certainement un plan que nous ne connaissons pas. Sinon, vous voyez très bien que le couvre-feu a été levé, que les Ivoiriens vaquent à leurs occupations. Et c’est ce moment-là que les autorités françaises choisissent pour demander à leurs ressortissants de partir de la Côte d’Ivoire. Il y a beaucoup de questions dans ma tête.

Vous dites que les jeunes pro-Gagbo ne s’en prendront pas aux Français ou aux ressortissants étrangers. Mais si, par exemple, il y avait une action militaire pour déloger Laurent Gbagbo que ferez-vous à ce moment-là ?

On verra si c’est la force militaire qui est envisagée. Nous on est là, on regarde, on attend… 

 

(c) : RFI

Cette double interview a été réalisée par Cyril Bensimon pour RFI et publiée le 24 décembre 2010

 

 

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