Inspecteurs d’Etat au Cameroun : boucs émissaires ou incompétents ?
Quelques mots bien choisis se retrouvent dans quatre décisions signées lundi 23 août dernier par le ministre délégué à la présidence de la République chargé du Contrôle
supérieur de l’Etat. Des inspecteurs d’Etat sont «Suspendus de l’exercice de toute activité de vérification et d’audit pour une durée d’un an. Blâme avec inscription au dossier.»
Sanctionnés pour «violation des principes déontologiques liés au déroulement des missions mobiles du contrôle supérieur de l’Etat. Fautes commises dans le cadre de l’expertise judiciaire et
de la collaboration avec le parquet effectuées au port autonome de Douala pendant la période 2006-2009.»
La période coïncide, on l’aura noté, avec la mise en examen, le jugement et la condamnation de l’ex-directeur général du Pad et son président du conseil d’administration.
Au cours des audiences, les avocats des accusés avaient mis en difficultés les rapports produits par les inspecteurs d’Etat et sur la base desquelles Alphonse Siyam Siwe et
Edouard Etondè Ekotto avaient été mis en cause, jugés puis quand même condamnés à de lourdes peines de prison: à vie pour le premier, 25 ans de réclusion pour le second.
En revisitant les activités de ce département ministériel ces dernières années, on constatera que les inspecteurs d’Etat ainsi indexés aujourd’hui ne sont pas les seuls. Qu’on se souvienne en
effet de l’affaire Paul Ngamo Hamani, ancien Administrateur provisoire de la Camair dont le rapport commis par une mission d’inspection du Consupe aura été fortement remis en
cause, les montants indiqués changeant au gré des humeurs des enquêteurs et, surtout, le document n’ayant jamais démontré que l’accusé avait détourné le moindre franc. Pourtant, depuis bientôt
deux ans, le mis en cause croupit à la prison centrale de New Bell à Douala, après une mise en scène spectaculaire de son arrestation.
Qu’on se souvienne aussi de l’affaire de la mise en débet de Patricia Enam dans le cadre d’une mission d’audit de la Cameroon radio and television, Crtv. Un inspecteur d’Etat mis
en cause par l’accusée pour avoir refusé d’entendre quelqu’un de qui il devait recevoir des documents (Patricia Enam était absente du pays pour des raisons académiques justifiées), mais pour
avoir demandé et reçu de l’argent par envoi Western Union. Aucun démenti n’était venu ni de l’inspecteur en question, ni de son administration.
Qu’on se souvienne enfin (mais parmi tant d’autres), de l’affaire Olanguena Awono : le chef de la mission d’enquête du Consupe dont le rapport a servi à l’arrestation de
l’ex-Minsanté a été mis en cause. Appelé comme principal témoin pour une confrontation en juillet dernier, l’intéressé sera incapable de prouver les affirmations contenues dans le rapport,
reconnaissant même devant la barre que le rapport avait été bâclé et parfois sur la base de documents douteux. Appelé à revenir pour la suite de la confrontation, il s’est retrouvé opportunément
«en mission à l’étranger».
L’incompétence, la légèreté ou la duplicité de ces hauts fonctionnaires (pas ceux-ci en particulier, mais généralement les cadres de ce département ministériel si singulier)
semblent reconnues par leur supérieur hiérarchique direct. Siegfried David Etame Massoma reconnaissait lui-même, le 22 janvier dernier, lors de la traditionnelle cérémonie de
présentation de vœux à ses collaborateurs, «ce comportement peu honorable, fait de critiques récurrentes sur la qualité discutable des rapports, technicité approximative des équipes de
vérification, intelligence avec les gestionnaires de la fortune publique et, en cas de « mauvaise entente», rapports sous forme de règlement de comptes. Il prescrivait l’amélioration de la
conduite des équipes de vérification sur le terrain, la conception même des rapports. Pour être à l’abri de toute critique, il faut des vérificateurs qui font bien leur travail, qui constatent
des fautes de gestion et des irrégularités.
Le fait est que, depuis que ces critiques et constats sont fait, voici la première sanction qui frappe ces fonctionnaires, et qui se résument à quelques suspensions d’activités et blâmes. Point
n’est besoin ici d’exiger le bucher pour ces Camerounais dont certains peuvent légitimement plaider la bonne foi, et d’autres passivement l’incompétence. Le vrai problème est ailleurs. Des
individus ont été emprisonnés, et certains déjà condamnés à des peines d’emprisonnement qui vont manifestement les priver de liberté jusqu’à leur mort, le tout sur la base de rapport que l’ont dit aujourd’hui au mieux légers et superficiels, au pire
carrément faux.
Quelles mesures vont-elles être prises pour réparer ce qui s’apparente déjà à de graves injustices, ou plus exactement à des erreurs judiciaires. Si de pareilles dispositions n’étaient
pas prises, elles conforteraient alors la thèse des boucs émissaires dans un scenario politique arrêté à l’avance contre certaines personnes, les contrôleurs d’Etat ayant simplement été
instrumentalisés et les sanctions aujourd’hui prononcées contre certains ne venant que pour voiler les yeux.
Dans un pays qui revendique tous les jours les efforts faits dans le cadre de la bonne gouvernance, des sanctions comme celles prises la semaine dernière par le ministre Etamé Massoma auraient
été suivies, au minimum, d’une conférence de presse –on parle souvent de communication gouvernementale- à l’effet de revenir sur toutes ces affaires (celles citées plus haut et bien d’autres) où
le rôle du Consupe a été mis en cause. Afin d’éclairer et éventuellement rassurer l’opinion et, surtout, rappeler le rôle de cette institution dans le dispositif général de contrôle de la dépense
publique, au milieu de tant d’autres que sont la Commission nationale anti corruption (Conac), l’Agence nationale d’investigations financières (Anif) ou encore la Chambre des compte.
Est-ce trop lui demander ?
Ps : le titre est de Cyrille Ekwalla