Corentin Talla : "Le Cameroun est un volcan"
Corantin Talla. Le leader estudiantin des années 90 a organisé des marches à Washington à l’occasion de l’anniversaire des émeutes de février 2008.
Vous de la diaspora avez participé à des manifestations en Europe et aux USA pour demander le départ de Paul Biya. Comment peut-on comprendre cet engagement ?
Je tiens d’abord à dire que même vivant dans la diaspora nous sommes des Camerounais à part entière. De ce fait nous avons aussi un droit de regard sur la marche de notre pays. Cela dit, nous constatons comme tous les autres Camerounais qu’en 29 ans de pouvoir le président Biya n’a fait que des promesses jamais tenues. Il a promis à plusieurs reprises aux Camerounais qu’ils verront bientôt le bout du tunnel. Mais tout au contraire on assiste à la paupérisation tous azimuts de la majorité des Camerounais, et plus particulièrement les jeunes pour la plupart éduqués qui voient leur avenir bafoué par la mauvaise gouvernance. La corruption, le favoritisme, le népotisme, et la gabegie ont fait leur lit dans le système de gouvernance du pays. Plus encore, le régime actuel est réfractaire aux élections libres et transparentes. De ce fait s’oppose à la mise sur pied de manière consensuelle d’une commission électorale véritablement indépendante. Aussi, la constitution, loi fondamentale du pays, est un jouet entre les mains du président Biya qui la modifie à sa guise pour consolider son pouvoir. Face à tous ces maux qui minent notre pays et face au manquement de volonté manifeste du régime actuel de favoriser une alternance pacifique au sommet de l’état via des élections transparentes, face à l’absence d’un état de droit au Cameroun, nous ne pouvons que demander le départ du président Paul Biya afin de donner une chance aux Camerounais de créer les institutions qui garantissent une véritable démocratie au Cameroun.
Pensez-vous pouvoir obtenir un résultat, malgré la distance qui vous sépare du Cameroun ?
Malgré la distance qui nous sépare au Cameroun, nous avons toujours un rôle important à jouer dans le sens de la conscientisation et de la
mobilisation du peuple camerounais. En effet à travers les sites sociaux tels Facebook, twitter et autres, nous avons régulièrement des échanges avec les jeunes camerounais qui nous parlent
de leurs angoisses existentielles au Cameroun, de leur misère, et parfois même du peu d’espoir qu’ils ont pour un avenir meilleur. Ce sont généralement des jeunes diplômés sans emploi ou
avec emploi informels, qui sont moto taximen, sauveteurs, et autres. Nous de la diaspora, ne pouvant rester indifférents face à ces conditions de jeunes camerounais, ne pouvons que travailler
avec eux pour qu’ils prennent leur destin en main et demandent la satisfaction de leurs demandes légitimes. Nous assurons ensuite le relai de ces demandes légitimes de Camerounais dans la
diaspora, ainsi que la dissémination des informations concernant les multiples violations des droits de l’homme ayant cours dans notre pays. Bref, les Camerounais de l’intérieur ont plus de
motivation pour confronter le gouvernement en ce qui concerne leurs problèmes quand ils se sentent soutenus par la diaspora.
Au Cameroun, par contre, on a noté l’absence, le 23 février, de certains grands noms de l’opposition, qui n’ont pas osé manifester. Quel
est votre sentiment face à cette attitude ? Avez-vous le sentiment, vous de la diaspora, d’être les seuls à lutter véritablement ?
Je puis vous dire ici que l’opposition est quasi-inexistence au Cameroun. Mais il reste tout de même certains éléments de l’opposition et de la
société civile qui se battent véritablement pour le changement chez nous. Nous de la diaspora essayons de travailler en synergie avec ceux là sur certains aspects de la lutte pour le changement
dans notre pays. Mais le plus important pour nous est de travailler en étroite collaboration avec les sans-voix, les laissés-pour compte de la république et tous ceux qui sont sensibles au
sort de ces derniers, pour qu’ils aient le désir et le courage de prendre leur destin en main afin qu’ensemble nous insufflons une dynamique véritable de changement dans notre pays. La diaspora
en a marre des politiciens qui à ce stade de la lutte pour le changement excellent plutôt dans le positionnement au détriment de l’unité d’action sur le terrain. Cela dit, nous de la
diaspora pouvons et devons contribuer à former une coalition pour l’alternance et l’alternative pacifique au Cameroun en œuvrant pour le rapprochement stratégique des différents acteurs du
changement sur le terrain et en apportant un appui logistique et médiatique aux différentes actions pouvant concourir à une alternance pacifique au pouvoir.
Issa Tchiroma, le ministre de la Communication , a accusé la diaspora de manipuler la jeunesse. Comment réagissez-vous à ces
propos ?
Ce monsieur ne sait pas de quoi il parle. Il prend sans doute les jeunes Camerounais pour des bébés. Personne de la diaspora ne manipule les
jeunes Camerounais. Nous travaillons de manière synergique avec les jeunes pour créer les conditions idoines pour leur épanouissement au Cameroun. Vous croyez que les millions des jeunes sans
emploi ont besoin d’être manipulés pour réclamer leurs droits ? Vous croyez que ces jeunes qui sont victimes du népotisme, du favoritisme, de la médiocratie et j’en passe, ont besoin d’être
manipulés pour dire que trop c’est trop ? Tchiroma doit savoir que les jeunes camerounais ont en chacun d’eux un esprit révolutionnaire. La soi-disant paix au Cameroun, dont le gouvernement
se vante tant, n’est qu’une paix de façade qui est mise à mal chaque jour par l’absence de justice sociale, d’équité, de liberté, et par l’absence de l’opportunité d’une vie meilleure pour des
millions de jeunes camerounais. Bref, tant que les jeunes camerounais ne verront pas le bout du tunnel tant promis par Paul Biya, le Cameroun restera un volcan qui peut se réveiller à tout
moment. Pour éviter de réveiller ce volcan, le président Biya doit créer les conditions de son départ avant octobre 2011.